L’adulte face au deuil

Le deuil est une expérience dont nous avons beaucoup de mal à parler, qu’on la vive ou qu’on l’accompagne.  C’est pourtant une étape de vie, à la fois universelle, sociétale et individuelle. 

C’est une triste expérience qui touche tout le monde un jour ou l’autre.

Les rites, traditions autour du deuil sont propres à une société, répondent à des codes particuliers et peuvent se différencier d’une société à l’autre. Ils sont nécessaires au travail de deuil. Ils aident et accompagnent la séparation.

Les mécanismes de défense qui se mettent en place lors du deuil diffèrent d’une personne à l’autre. Certains vont pleurer, d’autres vont crier, d’autres encore rester silencieux. Tout cela dépend de son histoire, sa personnalité…Tout deuil renvoie à nos pertes antérieures

Comment définir le deuil ?

Il désigne la perte liée au décès d’un proche. Mais ce terme désigne également les réactions psychologiques qui suivent cette perte, les processus psychologiques qui s’engagent lors de cette perte. Ce que l’on nomme communément « le travail de deuil ».

« Un certain nombre d’étapes sont systématiquement rencontrées et décrites au cours du processus du deuil. Elles ne se déroulent pas obligatoirement selon un ordre logique, toutes les personnes ne passent pas par toutes les étapes, parfois certaines étapes se mêlent ou réapparaissent. »[1]

Selon les auteurs, certains décrivent 3 phases, d’autres 4 phases, d’autres 5 ou 7.

C’est Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre, qui est la première, en 1969, dans son livre, « On death and Dying » à décrire le deuil en 5 étapes :

Déni

Colère

Marchandage

Dépression

Acceptation.

Elle a élaboré ce modèle à partir d’observation de patients en fin de vie, afin de mieux les comprendre et les accompagner.  Quand on parle des 7 étapes du deuil (choc, déni, colère, état dépressif, acceptation, reconstruction), il s’agit d’une variante du modèle d’Elisabeth Kübla-Ross, appliquée aux proches de la personne décédée.

Pour plus de lisibilité, les recherches en psychologie s’accordent à repérer 3 grands moments dans lesquels vont s’inscrire ou non les différentes étapes citées ci-dessus :

1. L’état de choc, de sidération, de déni, de colère, de recherche

L’annonce d’un décès est un choc, une perte. La sidération (absence apparente de réaction, réactions automatiques), le refus d’y croire ou à l’inverse le comportement de recherche (rechercher l’être disparu, sa présence, des objets qui font penser à lui), la colère, sont autant de comportements qui font partie de ce choc de l’annonce. Le monde s’est arrêté de tourner, le temps n’existe plus… L’incrédulité traduit le déni défensif. La personne se trouve brutalement plongée dans un état de torpeur, d’engourdissement, dans lequel elle continue à vivre et à agir, mais de façon automatique.

Cette période est inconstante : elle dure en général de quelques heures à quelques jours, exceptionnellement plus d’une semaine. C’est une façon qu’à notre corps de se protéger du tsunami émotionnel lié à la perte.

Lorsqu’il s’agit de mort violente, accidentelle, la part du déni est plus grande encore et rapidement, une phase de colère peut se mettre en place (non acceptation).

Lorsque le décès survient à l’issue d’un long accompagnement, la part de déni peut également y être présente. L’annonce bouleverse bien au-delà de la perte. Elle bouleverse l’organisation mise en place autour et avec le malade, les habitudes de vie prises autour du malade. Elle laisse les proches, vides et désemparés. La colère peut être également présente car l’accompagnant peut avoir espéré jusqu’au bout un miracle, une guérison, avoir prier pour cela et se mettre en colère contre Dieu. Mais cette phase peut aussi ne pas exister, car le principe de réalité, une conscience accrue de l’état du malade, de sa souffrance, savoir qu’il va rejoindre son Seigneur (…) peut avoir préparé le proche à la future séparation. La douleur n’en est pas moins grande, mais, la colère n’y a finalement pas sa place. Une fois encore, il s’agit de réactions personnelles, liées à l’histoire et au caractère de chacun.

Le vide qui s’installe lors de la perte de l’être cher, pousse chacun à le rechercher. Cette période triste peut être angoissante. La perte signifie ne plus entendre sa voix, avoir peur d’oublier les traits du visage, son odeur… Les repères s’estompent. C’est pourquoi, certains gardent les habitudes de vie de l’autre, comme refuge, sécurité, repère.

2. L’expression du chagrin du deuil

La deuxième phase est souvent la plus longue du travail de deuil ; on parle d’un état dépressif réactionnel dans lequel on prend conscience de la réalité. On peut avoir des troubles alimentaires ou du sommeil (sur le plan corporel), des difficultés à être attentif, à réfléchir, à se concentrer (sur le plan intellectuel) et une humeur sombre (sur le plan affectif).

C’est une période où il est important que chacun puisse parler, se rappeler et prier.

La parole permet aussi de se remémorer de bons souvenirs. Il n’est pas rare, à l’issue des obsèques, quand les proches se réunissent, de passer des larmes au rire. La mise en « mots » commence souvent à ce moment-là et fait partie du travail de deuil.

Puis la vie reprend son cours. Commence alors pour les proches, une phase de profonde tristesse qui intervient à distance du décès, lorsque la vie de son entourage, si présent au moment du drame, a repris son rythme quotidien, alors que le rythme de la personne endeuillée est toujours au ralenti. 

C’est une étape très difficile, car la souffrance y est très forte, exacerbée par le sentiment que les autres ne comprennent rien à cette détresse. Les émotions y sont très vives et sont en étroite relation avec le vécu. Un sentiment de solitude peut alors être très présent.

3. L’achèvement du travail du deuil

La dernière phase est l’acceptation de la perte du proche : on peut alors de nouveau en parler sans s’effondrer en larmes. On a cessé d’idéaliser la personne disparue. On sort de l’état dépressif réactionnel. On peut de nouveau profiter de la vie sans culpabiliser…

L’être aimé n’est pas oublié, mais progressivement, il y a une acceptation de son absence.

Dans cette étape, la personne accepte la perte. En l’acceptant, elle est capable de garder les beaux moments mais aussi les moins bons. Elle commence à avoir plus confiance en elle, se sent mieux et l’avenir ne semble pas aussi noir qu’avant. Par exemple : « J’y pense encore parfois, mais je m’en sors ».

Le précédent état a provoqué une relative ouverture. Le caractère obsédant de la cause du deuil s’estompe. C’est la vie. L’heure est au fatalisme. Il arrive encore que la personne manifeste des états antérieurs. L’intensité est plus faible. Les périodes d’abattement sont moins longues. Elle conçoit quelques projets.

C’est l’acceptation. « C’est la volonté de Dieu. »

L’acceptation seule ne suffit pas. Il faut reconstruire progressivement. La personne en deuil prend conscience qu’elle est en train de réorganiser sa vie. Se reconstruire amène à mieux se connaître, à découvrir ses ressources personnelles et à prendre conscience de son existence et guérir de blessures anciennes. Cette démarche développe la confiance en soi-même. Le sentiment de vulnérabilité fait progressivement place à une nouvelle énergie et, pour le croyant, une plus grande confiance en Dieu.

4. Combien de temps dure le processus de deuil ?

Les 3 grands moments dans le travail de deuil – de même que les fameuses 7 étapes du deuil – sont propres à chacune et à chacun. Même au sein d’une même famille qui perd un proche, tout le monde ne passe pas par les mêmes étapes au même moment, chacun ne traversera pas les mêmes phases et ne fera pas face aux mêmes sentiments : un deuil reste très personnel. Certains auront tendance à aller rapidement de l’avant, d’autres resteront plus longtemps dans l’expression du chagrin du deuil. De même, ces 3 grands moments ne sont pas toujours linéaires et s’entremêlent parfois.

« Le rythme du deuil est différent d’un individu à l’autre, pour la majorité d’entre eux, le deuil est achevé au bout d’un an. »[2]»

L’important, c’est d’aller à son rythme et d’accepter que faire son deuil peut être long.

 5. Et le deuil du chrétien dans tout cela ?

Beaucoup seraient tentés de dire que le deuil du chrétien est plus facile. D’une certaine façon, oui, car la foi et l’aide de Dieu portent. Mais, là encore, il existe des différences interpersonnelles, de caractère, d’âge, d’histoire, de circonstances. Comment laissons-nous Dieu nous travailler ? Certains peuvent passer par une phase de révolte contre Dieu (accident, perte d’un enfant…). Cette phase est importante et les accompagnants doivent leur laisser le droit à cette colère, et prier pour eux, puis plus tard, avec eux.  Les écouter, écouter cette colère. Derrière elle, se cachent toutes leurs peurs, leurs chagrins, leurs blessures, les incompréhensions… Car là encore, nous ne parlons pas de foi, mais de perte. La perte d’un être aimé, et du vide que laisse son absence ; de l’obligation de se recomposer, de se recréer sans. Rappelons-nous la panique et la sidération des disciples après la crucifixion.

Les circonstances sont également différentes lorsque la personne décédée est chrétienne ou non. Et le chemin de deuil certainement moins facile quand la personne ne l’est pas. L’acceptation d’une séparation définitive est plus difficile à gérer. Heureusement, Dieu nous a envoyé son consolateur, qui est là, chaque jour, avec nous. Faisons lui confiance afin qu’il nous mène sur le chemin de la consolation et guérisse nos cœurs brisés. C’est un chemin, il faut donc avancer, fournir des efforts et s’inscrire dans le temps. Ce chemin nécessite persévérance et confiance en celui qui nous conduit, car il a promis qu’il serait avec nous chaque jour et qu’il est à nos côtés lorsque nous traversons la vallée de l’ombre de la mort. (Psaume 23)

Pour ma part, lorsque ma maman est décédée, alors que j’avais tout juste 30 ans, et que j’étais moi-même une toute jeune maman, savoir qu’elle appartenait au Seigneur m’a aidée. Je savais que je la retrouverai un jour. J’ai pu l’accompagner jusqu’au bout, lui dire au revoir, prier avec elle, la remettre entre les mains de notre Seigneur. Elle savait aussi où elle allait. Elle avait préparé son départ, nous a laissé une lettre dont je vous livre un court extrait : « (…), surtout, pas de larmes pour moi, car où je vais, j’espère de tout cœur être avec le Seigneur. Je serai bien et surtout, je n’aurai plus mal. N’oubliez pas le Seigneur, dans aucun moment, même les plus difficiles, dans les épreuves (…) » C.M.[3]

Je me souviens que sa plus grande crainte n’était pas la mort, mais la souffrance. Je me souviens que lorsque j’ai vu que la fin approchait, j’ai prié pour que Dieu la délivre de cette souffrance. Et c’est ce qu’il a fait quelques jours plus tard.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai discuté avec un frère en Christ, ayant une foi profonde et ancrée en son Seigneur. Nous avons parlé de sa fin. De ce qui allait lui arriver. Il était serein, heureux de retrouver son Seigneur, celui pour lequel il avait œuvré toute sa vie. Il m’avait dit être en paix. Sa souffrance était de voir ses êtres aimés, son épouse, ses enfants, petits-enfants souffrir de son départ. De voir leur tristesse. Sa force a été un témoignage puissant jusqu’à la fin. Il a donné du courage et de la foi à chacun de ceux qui l’ont côtoyé.

Pour lui, comme pour ma maman, la douleur de la perte pour les proches a bien été présente. Il faut alors composer avec : laisser Dieu guérir nos blessures, laisser les larmes couler, la colère s’exprimer, vivre avec l’absence. Il faut accepter cette absence, la regarder, la remettre à Dieu quand elle se manifeste et nous submerge. Et cela arrive, longtemps après encore. Le réconfort de notre Seigneur s’exprime dans nos larmes et notre chagrin.

Et quel réconfort, malgré tout et même si nous ne comprenons pas tout, de savoir que nous nous reverrons!

Nathalie Azrak

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Références

(1) et(2) http://djiceworld.free.fr/pdf/cours deuil M6.pdf

(3) Partie d’une lettre laissée par Christiane Mazza

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