
Nous avons déjà vu, dans l’article « anatomie d’une relation toxique », les grandes lignes de ce type de relation. Dans celui-ci, je voudrais aller plus loin, en nous centrant sur ce qu’est un manipulateur relationnel (ou pervers narcissique)[1] et de l’emprise qu’il exerce sur ses « victimes ».
Je vous ai déjà dit, dans un précédent article qu’il n’existait pas de classement déterminant le degré de toxicité dans une relation. Seul un professionnel, au travers d’entretiens et parfois de tests peut aider à voir plus clair sur le profil de la personne avec qui vous vous retrouvez en difficulté. Cependant, nous savons que la perversion narcissique en est la forme la plus extrême et la plus pathologique dans les relations toxiques.
Isabelle NAZARE-AGA a bien défini dans son livre[2] ce qu’est un manipulateur relationnel et ce qui le caractérise. Je ne vais pas les énumérer ici, car cela fera partie d’un article à part entière (la partie 4). Je les aborderai à la suite de l’analyse sur la communication tronquée induite par la manipulation et qui définit ce type de relation.
Il y a tant à dire sur le sujet que je vais découper cet article en 6 parties qui seront publiées les unes après les autres. Et, si ce sujet vous intéresse et vous interpelle, vous trouverez en notes de fin de page, quelques ouvrages à lire sur le sujet. Ce sont les ouvrages qui ont largement inspiré tous ces articles. Si vous souhaitez continuer à vous documenter sur le sujet, je vous conseille les livres de Marie- France HIRIGOYEN[3] et Paul-Claude RACAMIER[4]
Savez-vous, que de nombreux contes mettent en scène ce type de relation ?
A ce stade, il est important de rapporter, que la fonction initiale du conte était de prévenir. Ils n’étaient, bien souvent, ni doux, ni ne finissaient aussi bien que nous les montrons aux enfants aujourd’hui. Leur contenu a été bien édulcoré. Et je vous renvoie aux versions initiales des contes d’Andersen, Perrault ou des frères Grimm (…), bien loin, vous verrez, des versions « Disney ».
Ils faisaient peur. Et c’était leur fonction ! Cette pédagogie, qui peut être contestable aujourd’hui, poursuivait l’objectif de préparer les enfants à devenir des adultes, et à se protéger « des méchants de la vie « en intégrant les contes. Ils pouvaient aussi signifier et mettre en scène des rites de passage entre l’enfance et l’âge adulte.
Je vais vous donner quelques lectures « autres » de contes bien connus.
-Prenons, par exemple, le conte du « Petit chaperon rouge ». Nous pouvons y voir, que le loup utilise les tactiques basiques de manipulation pour tromper le petit chaperon rouge afin de l’inciter à révéler des informations personnelles sur sa destination, sur sa grand-mère. Cette manipulation et cette communication perverse sont utilisées par le loup pour atteindre ses objectifs malveillants.
-Autre conte dans lequel nous pouvons voir mis en scène une relation sous emprise est celui de la « Belle et la Bête ». Ce conte fait souvent référence, en psychologie, au syndrome de Stockholm (les victimes développent des sentiments de sympathie, d’empathie, voire de l’affection envers leurs ravisseurs, malgré la situation d’abus et de danger)[5]. Ce syndrome est également une démonstration de ce que peut être une relation sous emprise mentale : lien effectif avec le ravisseur, jugement altéré.
-Un autre conte qui met en scène une emprise mentale perverse est « Barbe Bleue ». Dans ce conte, cet homme riche épouse successivement plusieurs femmes. Elles sont « libres » à l’intérieur de la maison, cependant, une seule pièce du château leur est totalement interdite. Mais une des épouses, curieuse, brave cet interdit et enfreint la règle. C’est alors qu’elle découvre le terrible secret. Cette pièce renferme le cadavre des précédentes épouses. Barbe Bleue exerce un contrôle psychologique et mental sur ses épouses et les maintient dans la peur et l’obéissance. Ce conte illustre bien les mécanismes de peur, d’obéissance et de contrôle qu’exerce tout manipulateur. Contrôle, qui, bien souvent, laisse la victime sans défense et lui retire même sa capacité à juger et discerner ce qui est bien, mal.
-Penchons-nous maintenant sur le conte de Raiponce. La relation qui existe entre la Mère Gothel et Raiponce peut, être considérée comme une forme de manipulation et de contrôle. Même si souvent cette relation est interprétée comme une métaphore de la relation parent-enfant dans laquelle la sorcière agit en tant que figure maternelle autoritaire et protectrice, je tiens à mettre l’accent sur le fait que Raiponce est enfermée, contrôlée par la peur du monde extérieur, et en est totalement isolée. La sorcière finalement ne l’utilise que dans le but de maintenir sa propre jeunesse. Raiponce n’est pas aimée pour elle-même. Cette relation n’est en rien une relation équilibrée et réciproque d’amour. Raiponce n’est pas sujet dans cette relation, elle est objet, en raison de la jeunesse qu’elle apporte à Mère Gothel avec ses cheveux. Et d’ailleurs, je trouve que, pour une fois, Disney met vraiment bien en scène cette relation perverse dans la scène de la tour, à travers les paroles de la chanson « n’écoute que moi »[6] (le titre en dit déjà long sur la volonté d’isoler !) et les mises en scène où le visage de la sorcière se fait tour à tour doux, et dur, avec, comme unique objectif, de maintenir Raiponce prisonnière afin qu’elle lui rende la jeunesse perdue, représentée dans le conte par la magie des cheveux de Raiponce. En la coiffant, elle redevient jeune. Elle lui vole son « énergie vitale » comme les manipulateurs, souvent comparé à des vampires, le font avec leur victime. Je reviendrai sur une analyse complète de cette chanson dans l’avant-dernière partie (partie 5) de ces articles.
À travers ces quelques exemples de contes, nous voyons le jeu du manipulateur relationnel autrement appelé pervers narcissique. Les deux appellations se valent. Le mot « pervers » dans pervers narcissique est à prendre dans son étymologie première qui signifie « détourner du but ». Autrement dit, le pervers « détourne du but » tout ce qui se joue dans la relation, à des fins personnelles (narcissiques), pour nourrir son ego.
Pour ma part, je préfère le terme de manipulateur relationnel, car il pose bien l’enjeu qui se joue dans la relation à l’autre : le manipulateur avance masqué pour satisfaire ses propres besoins au détriment de l’autre, sa victime.
Mais ici, pour éviter certaines répétitions, j’emploierai indifféremment l’un ou l’autre. Ce sont les « méchants » des contes qui avancent masqués, qui au début, font « bonnes figures » pour emprisonner leur proie par la suite.
Vous pouvez penser, « ces sont des contes pour enfants ». Mais dans la vraie vie ?…
Eh bien, c’est la même chose. Les techniques employées, sont des techniques d’emprise mentale, qui permettent de ligoter leur proie, sans qu’elles ne s’en rendent compte. Parfois, les victimes de ce type de relation, ressentent bien le malaise, mais le scénario joué est tellement parfait, qu’elles n’ont pas de prise. Il n’y a souvent rien de concret qui vient étayer ce malaise. N’oublions pas, que les manipulateurs avancent masqués, qu’ils posent tranquillement leurs pions, et ligotent leurs proies.
Ils possèdent une sorte de « scan » qui leur permet d’identifier très rapidement les petites failles et blessures de leur victime et ainsi d’adapter leur comportement. C’est la raison pour laquelle dans le précédent article, je parle de continuum dans la relation et d’attitudes différentes d’une personne à une autre.
Ils s’adaptent à la blessure de l’autre, peuvent se poser en sauveur, caressent dans le sens du poil, savent se montrer charmants, avant de resserrer leurs griffes. C’est ainsi, qu’ils sèment la confusion et anesthésient leur victime. C’est un état « quasi hypnotique ».
Certains manipulateurs sont alors tout à fait capables et à l’aise pour induire leurs propres pensées, leurs systèmes de valeurs, de croyances, d’influencer, de faire changer d’avis, tout en donnant l’impression et l’assurance à sa victime, qu’elle est autonome et agit de son plein gré. Nous sommes ici au cœur de la manipulation. C’est, par exemple, le modus operandi des gourous.
J’aime cette image de l’araignée. Elle tisse une jolie toile qui a l’aire bien inoffensive, presque invisible et elle l’est très certainement pour les insectes qui en sont victimes. Mais une fois cette toile touchée, ils ne peuvent plus en sortir. Bien au contraire, plus ils se débattent, plus ils sont ligotés. Les fils de la toile possèdent, sur toute leur longueur, des micros-accroches qui attachent et immobilisent les proies. L’araignée ne se montre qu’à ce moment-là. Elle réagit aux impulsions, aux mouvements donnés à la toile. Avant, elle était cachée (masquée) ne se montrait pas (ne se dévoilait pas). Une fois proche de sa proie, elle lui injecte d’abord un venin qui l’anesthésie (comme notre manipulateur), puis une enzyme qui va « la digérer », elle n’aura plus qu’à l’aspirer (comme un vampire, comme notre manipulateur).
Je vais arrêter là les contes et les métaphores et vous présenterai, dans le prochain article ce qu’est une relation sous emprise et les techniques mises en place par les manipulateurs pour arriver à leurs fins.
Ce sera la partie 2 : la manipulation relationnelle et l’emprise mentale (partie 2) – L’emprise mentale s’inscrit dans la communication.
Nathalie AZRAK
[1] J’utilise le mot manipulateur ou pervers narcissique au masculin par commodité d’écriture. Il est évident que des femmes peuvent être des manipulatrices relationnelles. La part de manipulation dans les deux sexes est sensiblement la même. Toutefois, encore peu d’hommes consultent pour des faits de manipulations féminines à leur encontre, alors que les femmes le font plus facilement. Ce qui donne l’impression, qu’il y a plus d’hommes manipulateurs que de femmes manipulatrices.
[2] Les manipulateurs sont parmi nous, Isabelle NAZARE-AGA, Les éditions de l’homme
[3] Le harcèlement moral – la violence perverse au quotidien et Le harcèlement moral dans le travail, démêler le vrai du faux, Marie-France HIRIGOYEN,
[4] Les perversions narcissiques, Paul-Claude RACAMIER
[5] C’est en Suède, à Stockholm en 1973, que ce phénomène a été analysé en premier. Deux criminels qui braquaient une banque ont pris en otages plusieurs employés de la banque, pendant plusieurs jours. Certains ont développé des liens affectifs, ont éprouvé de la sympathie ou de l’empathie avec leurs ravisseurs. Jusqu’à refuser par la suite, au moment du procès de témoigner contre eux. Cet évènement a donc été l’un des premiers à mettre en évidence le phénomène du syndrome de Stockholm.
[6] « N’écoute que moi » : intitulée « Mother Knows Best » en anglais, a été écrite par Alan Menken et Glenn Slater. Alan Menken est un compositeur de musique de films et de comédies musicales bien connu pour son travail avec Disney, tandis que Glenn Slater est un parolier qui a collaboré avec Menken sur plusieurs projets.
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