Il marchait depuis des jours. Peut-être des semaines. Peut-être des années. À vrai dire, il ne savait plus depuis quand il marchait, ni pourquoi il marchait. Il cherchait peut-être quelque chose ? Où allait-il ? Était-il attendu? Il ne savait pas. Il ne savait plus. Alors, il cherchait. Toujours et encore. Il se sentait incomplet. Il voyait le vide qui envahissait son âme. Il avait tellement peur d’y tomber, de s’y noyer. C’était peut-être lui qu’il cherchait… Son cœur le poussait toujours en avant, toujours plus loin, à travers forêts, rivières, collines et déserts intérieurs. Il marchait depuis si longtemps dans l’ombre de lui-même. Il avançait toujours avec ce sentiment lancinant d’inachevé, cette voix intérieure qui répétait qu’il n’était pas allé jusqu’au bout.
Pas de diplôme. Pas de reconnaissance. Un rêve d’enfant abandonné au bord d’un chemin balisé qu’il n’avait pas pu suivre. Lui, restait là, figé dans une vie en pointillés. Chaque matin était une lutte contre ce silence intérieur. Alors, pour ne pas se laisser envahir, il continuait à marcher, à déambuler, sans but. Juste avancer !
Il se sentait comme Moïse dans le désert, mais sans la certitude d’une Terre promise. Seulement des questions. Une prière muette, parfois criée dans le silence de la nuit : « Pourquoi moi ? » Et parfois, il osait se dire « Pourquoi pas moi ! ».
Certains soirs, il pensait : » Je ne suis pas ce que j’aurais dû être. » Ces soirs-là, tout particulièrement, il avait envie de s’asseoir à terre, de ne plus marcher, de ne plus bouger et de tout laisser.
Mais une autre voix, enfouie plus profondément encore, murmurait : » Ce n’est pas fini. Poursuis ton chemin. « . Étrangement, elle lui donnait la force d’avancer et de poursuivre. Quel contraste entre la force de cette voix à peine audible et la puissance de son désespoir. Mais c’était toujours elle qui le relevait et l’amenait plus loin. Il ne savait même pas où il allait. Il suivait simplement les chemins qui se présentaient.

« Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
Et vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Éternel. »
— Ésaïe 55:8
Il ne savait pas où aller, mais ses pas refusaient d’arrêter, ses pas refusaient l’abandon.
Et son cœur le poussait en avant, toujours plus loin, à travers forêts, rivières, collines et déserts intérieurs. Jusqu’au jour où, au détour d’un sentier effacé, presque invisible, il déboucha sur une mer de blé. Des champs à perte de vue.
Et pourtant, au milieu d’eux se dressait un majestueux portail de château. Il était là, solitaire. Il n’y avait ni murs, ni bâtiment, seulement ce portail monumental, ancré dans la terre comme une relique oubliée du passé. Les hautes grilles de fer forgé, finement ouvragées, étaient grandes ouvertes, invitant silencieusement à entrer…Mais vers quoi ? Vers rien, semble-t-il…
Autour, les épis de blé ondulaient doucement sous la brise, caressant les pieds du portail comme pour lui rappeler le temps qui passait.
Ce fut à ce moment-là qu’il l’aperçut… Vision étrange dans une scène qui l’était plus encore.
Juste sous l’arche du portail se tenait un homme immobile, comme figé, qui attendait. Qui attendait quoi d’ailleurs ? Silhouette droite, il semblait faire partie du décor, comme s’il avait toujours été là. Son regard portait loin, mais personne ne savait ce qu’il guettait.
Le voyageur s’approcha doucement, prudemment. Et plus il s’approchait, plus il percevait l’intensité de ce personnage.
Cet homme était vêtu simplement, et il émanait de lui une présence étrange, presque familière. Il était calme. Solennel. Il ne bougeait pas mais, ses yeux semblaient porter à travers le temps, comme s’il faisait partie de la terre et du ciel tout à la fois. Le voyageur eut la certitude qu’il était Le Gardien. Mais il ne comprenait pas vraiment de quoi il était le gardien.
Et pourtant, en même temps, son cœur tressaillait, comme si de vieux souvenirs, enfouis depuis la nuit des temps dans les tréfonds de son âme, trépignaient d’être enfin révélés. Il acquit la certitude qu’il le connaissait…C’était peut-être lui qu’il cherchait ?
Et ce gardien ne parlait toujours pas et ne bougeait toujours pas. Il continuait d’attendre. Qu’attendait-il d’ailleurs? Qui attendait-il? Pourquoi attendait-il?
Le voyageur s’arrêta. Un souffle de vent fit onduler les blés jusqu’à l’horizon. Il observait. Que devait-il faire ? Cette fois, ce ne sont plus ses pas qui le guidaient, ou son cœur qui le relevait. Il devait choisir ! Choisir d’avancer et passer ce portail, ou de s’arrêter et faire demi-tour. Ses pas l’avaient amené jusque-là. Non pas qu’ils l’avaient choisi, mais comme s’ils répondaient pour lui à un appel qu’il n’entendait pas encore.
Le voyageur, curieux et incrédule à la fois, décida de s’avancer. Alors le gardien lui parla, et lorsqu’il le fit, sa voix n’était pas d’homme, mais d’éternité. Il regarda le voyageur avec douceur et intensité et dit :
« Cela fait longtemps que je t’attends. »
Une chaleur étrange envahit le voyageur. Son cœur se brisa et se reforma en une seule seconde. Le voyageur sentit un frisson lui parcourir le dos. Alors même qu’il voulut demander pourquoi, il sut et n’en eut pas besoin.
« Ce passage mène au succès. Mais pas à celui des diplômes, ni des titres, ni du pouvoir ni des richesses. Pas à celui que l’on mesure. Mais à celui que l’on incarne. Celui que tu portes depuis toujours. Celui de l’appel enfin entendu. Celui que j’ai prévu pour toi. Je t’attendais », lui dit Le Gardien.
En cet instant, le voyageur qui venait de recevoir un cœur nouveau, un cœur reconstruit et bien que ses pensées le ramenaient sans cesse à l’incongruité de la situation, saisit l’entièreté de ces paroles, sans aucun doute et en toute vérité. Ses déserts intérieurs avaient disparu. De même que ses errances. Il saisit instantanément, grâce à son cœur nouveau, qu’il y avait des projets prévus d’avance pour lui. Voilà ce que Le Gardien gardait comme un précieux trésor. Lui seul appelait. Lui seul transformait. Lui seul ouvrait les portes. Il était Le Gardien de ce chemin. Il était la vie. Il était la vérité.
Le vent se leva lorsque le voyageur franchit les portes. Il lui sembla alors que les blés ondoyants chantonnaient de doux Alléluias à la gloire de Celui qui le guidait. Main invisible portant action dans une réalité bien tangible.

« Voici, je mets devant toi une porte ouverte, que personne ne peut fermer. »
— Apocalypse 3:8
Le chemin derrière le portail n’était pas pavé d’or, ni droit comme une ligne de train. Il était sauvage, libre, imprévisible. Mais il était vivant et plein de sens.
Le voyageur apprit. Il tomba. Il se releva. Il mit ses mains dans la glaise de ses idées, et ses idées devinrent œuvres. Il n’avait pas de diplôme, mais il avait la vision. Pas de titre, mais l’autorité de l’appel, la connaissance du vécu. Pas de plan, mais une mission. Jamais il ne regretta son choix…même dans les moments les plus difficiles. Il avait longtemps erré, seul, sans but, nourri de désespoir et d’échecs. Mais, passé ce portail, avec un cœur reconstruit, il suivait ce chemin qu’il savait maintenant être guidé. Non seulement, il n’était plus seul, mais il se savait aimé, attendu. Et créé pour une mission toute spéciale. La sienne !
Deux ans plus tard, sur une terrasse, un soir d’été, il leva les yeux au ciel en souriant. Il était heureux. Ses pensées divaguaient. Il repensa à ce chemin. Il ne fut pas pavé de facilité. Ce ne fut pas une ligne droite, mais, comparé aux décennies d’errance, ces deux années furent une ascension!
Comme celle d’Abraham quittant tout pour un pays inconnu, il marcha avec foi, même quand ses yeux ne voyaient rien encore. Il trébucha parfois mais se releva toujours. Il douta encore et souvent. Mais cette fois, il avançait.
Et il arrivait, quand il était trop fatigué, trop épuisé, qu’une brise se levait, suffisamment forte et vaillante pour le porter, sans jamais le blesser. Il s’y lovait avec plaisir, juste le temps de récupérer suffisamment de force pour poursuivre son chemin.
Et, il était arrivé ! Non là où le monde l’attendait, mais là où Dieu l’avait toujours appelé.
Et là, sur cette terrasse surplombant une ville, « sa chère ville », comme il aimait désormais l’appeler, il prenait toute la mesure d’être « chez lui ». Ces mots résonnaient toujours aussi étrangement en lui. Lui qui avait erré tant d’années, avait maintenant un chez-lui ! Voilà un rêve réalisé!
Comme un arbre, il s’était enraciné… La vérité d’un désir accompli transformée en arbre de vie.
Ce soir-là donc, l’ex-voyageur leva un verre entouré d’amis, de rires et de lumière. Il n’était plus seul. Il ne portait plus les habits usés d’autrefois, ni l’ombre dans le regard. Il n’avait plus de déserts intérieurs. Son projet, celui auquel il rêvait sans oser y croire, celui qui se terrait au plus profond de son cœur, avait fleuri. Sa voix portait maintenant, ses idées touchaient les cœurs. Il n’était pas devenu riche de chiffres, mais de sens !
Et parfois, lorsqu’il fermait les yeux, il revoyait ce champ de blé… Le portail… Et le Gardien qui l’attendait… Un passage vers une vie nouvelle. Et cette phrase gravée dans sa mémoire :
« Cela fait longtemps que je t’attends. »
Il avait depuis compris que tout ce temps n’était pas un échec mais une traversée.
Et dans le secret de son cœur, dans ses prières, il revoyait encore ce champ, ce portail, et cette voix pleine de grâce :
Le chemin peut être long, non conforme… mais il mène à Mon Royaume, « Je suis le Chemin, la Vérité et la vie. « , murmurait doucement sur son cœur, son Seigneur et son Maître, qui, depuis le début, le guidait et le soutenait.

« Et nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu,
de ceux qui sont appelés selon son dessein. »
— Romains 8:28
Nathalie AZRAK
