

Matthieu 5 : 4 « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés »
Il était une fois, dans une vallée paisible, une jeune fille nommée Éliana. Elle vivait dans un petit village, bordé de collines douces et de champs dorés.
Éliana, dont le prénom signifie » Dieu m’a entendue », était une jeune fille au cœur immense. Elle ressentait tout, comme si le monde parlait plus fort à son âme qu’aux autres. On aurait cru son cœur fait de cristal. Chaque chose du monde résonnait en elle avec une intensité étrange. Chaque résonance avait sa fréquence, sa force, son chant, parfois mélodieux, parfois disgracieux. Ces chants envahissaient entièrement et totalement Eliana.
– Quand un oiseau tombait du ciel, elle pleurait.
-Quand une fleur fanait, elle était remplie de tristesse.
-Quand une feuille tombait d’un arbre, elle ressentait sa chute.
-Quand quelqu’un riait, son cœur bondissait d’une joie si vive qu’elle en tremblait.
Les villageois, bien qu’aimants, ne la comprenaient absolument pas.
– » Tu es trop sensible », disaient-ils.
– » Tu prends tout à cœur », murmuraient-ils.
On la disait trop émotive, trop fragile. Alors Éliana apprit à cacher ses larmes et à sourire quand son cœur débordait.
C’est ainsi qu’elle s’isola peu à peu, qu’elle se cacha. Elle croyait que son cœur était une faiblesse.
Là-haut, sur la plus haute montagne qui entourait le village, vivait le Roi. Il était le Seigneur de toutes les terres aux alentours. Il était là, présent, mais sans être tyrannique, ni cruel, ni despotique.
Non !
Bien au contraire, il était bienveillant, juste et généreux.
Il était puissant aussi, très puissant. Le peuple l’aimait et le craignait à la fois. Il savait qu’il lui devait la vie et le respectait pour cela et pour la protection qu’il leur accordait. Dans les collines autour du village, des loups vivaient et rodaient. Mais le Roi, sans cesse veillait et les protégeait.
Le Roi portait aussi un autre nom, un nom secret, que peu osait prononcer tant il était Glorieux. Il se murmurait quand même, les soirs d’hiver dans les chaumières, qu’il était Dieu, c’est-à-dire le Créateur de Toute Chose. Les villageois étaient sa création, les maisons étaient sa création, les arbres étaient sa création, le ruisseau qui entourait le village était sa création. Comment ? Mystère… Nul ne le savait.
Mais voilà ce qui se murmurait sur son nom secret les soirs d’hiver dans les chaumières.
Son château était aussi unique en son genre. Il ne ressemblait en rien aux autres châteaux. Pas de fortification, pas de pont-levis, pas de herse, juste deux grandes portes, tout le temps, ouvertes.
Tout le monde pouvait y aller, mais peu s’y risquaient, de peur de le déranger. Quelques audacieux parfois… Ou alors, de grands désespérés !
C’était donc le plus souvent lui qui se déplaçait, ou qui faisait appeler en son sein telle ou telle personne. Ce qui s’y disait, nul ne le savait, car nul ne rapportait les conversations qu’il avait eues avec le Seigneur. Les villageois appelés gardaient toujours le silence sur ce qui se disait, et même comment c’était là-haut. Chacun gardait pour lui, comme un précieux trésor, les mots prononcés par le Roi et ces instants passés en sa présence. Ce qui est certain, c’est que, de retour au village, quelque chose de nouveau brillait dans leur regard. Ils avaient changé.
Il est vrai, alors, que chacun attendait patiemment d’être appelé par le Roi et d’avoir cet entretien particulier. C’était un véritable honneur que chacun savait apprécier et attendait, parfois, toute une vie …
Il existait aussi une autre tradition, très forte dans le village. Pour chaque naissance à venir, c’était le Roi lui-même qui préparait la fête et le festin. Il y tenait ! Tout le monde était invité à participer, à se réjouir, à danser et à manger. La particularité de ces réjouissances était qu’elles avaient lieu dès que la maman savait qu’elle attendait un enfant. Et, chose étrange, le Roi était toujours informé de la situation, sans que personne n’ait à le lui annoncer. Alors, un cor résonnait des montagnes vers la vallée, annonçant la prochaine fête. Un décret était rapidement publié et affiché sur la porte des futurs parents. Aujourd’hui encore, personne ne sait qui met cette affiche, ni comment le Roi sait.
La fête avait toujours lieu sept jours après l’apposition du décret sur la porte des futurs parents. Elle commençait dès le lever du soleil du septième jour.
Et, elle commençait toujours ainsi.
Les parents du futur nouveau-né, entourés de tous les villageois, se rendaient sur la place du village. Le Roi, solennel, proche et distant à la fois, les attendait sur son trône, qui, pour l’occasion, avait été déplacé en cet endroit.
La place était merveilleusement décorée. Mille couleurs et mille fleurs ornaient les tables chargées de mets délicieux. Une mélodie accompagnait cet enchantement. Les effluves de fleurs et de mets semblaient danser et s’entremêler au rythme de la mélodie. Les trois emplissaient l’air de douceur, de joie et de sérénité. Chacun pouvait ressentir au plus profond de lui les prémices des réjouissances à venir. Et, aucune fête ne ressemblait à la précédente. Elles étaient toutes uniques, comme adaptées au futur bébé.
Pour autant, c’était également un moment très solennel dont chacun mesurait intuitivement toute l’importance. Une importance fondamentale, sans qu’aucun ne puisse vraiment en donner une explication claire et précise.
Mais c’était ainsi et c’était bien ! Cela rythmait la vie du village.
Alors le Roi se levait, marchait en direction de la future maman. À quelques pas du trône, il posait sa main sur son ventre, disait quelques mots que nul ne pouvait entendre. C’était comme une prière. Il fermait les yeux. Et très souvent, après quelques minutes de murmures inaudibles, un large sourire illuminait son visage. Il retournait sur son trône. Les futurs parents ne bougeaient pas. Et de là, à haute et intelligible voix, il nommait le futur bébé. Et chaque nom signifiait quelque chose. C’est lui qui choisissait le prénom de chacun. Et c’était comme cela depuis la nuit des temps, depuis le premier et la première villageoise. Personne ne savait ni depuis quand d’ailleurs, ni comment cela avait débuté, mais c’était ainsi. Et, pour le village, c’était source de grandes joies et de réjouissances immenses. Après cela, les parents remerciaient le Roi.
C’est alors que la fête commençait et chacun se réjouissait de la venue du futur bébé. Les parents étaient entourés. Et le nom du futur bébé était très souvent prononcé tout au long de cette journée, comme pour en remplir l’air. C’est ainsi que dans l’esprit et dans le cœur de tous, il commençait à prendre sa place.
Quelques érudits du village disaient que le Roi possédait un livre. Ils disaient aussi que dans ce livre, il y avait inscrit le nom de tous et que chaque jour y était consigné à l’avance car c’était ainsi que procédait le Roi. On disait même que s’il connaissait les naissances à l’avance, c’était en raison de son nom secret. Vous vous souvenez, le Créateur de Toute Chose, Dieu le Père. Il paraît, du moins c’est ce que disent ces savants, que c’est lui qui programme chaque naissance, et comme il connaît chaque jour bien avant que chacun ne se produise, il connaît déjà les futurs villageois et villageoises. Ce qu’ils seront, comment ils seront, ce qu’ils feront… Voilà pourquoi, c’était lui qui choisissait le prénom de chacun. C’est là que s’exprimait Sa volonté souveraine pour tous, et en bon créateur, il aimait ce qu’il faisait et trouvait tout le monde merveilleux. C’était Sa création !
C’est ce qu’avançaient certains érudits. Mais évidemment, personne n’a jamais ni vu, ni lu ce livre. Mais je suis certaine que tous y croient au fond d’eux-mêmes. Tant de choses mystérieuses entourent le Roi.
C’est comme cela et dans toute cette tradition, qu’Eliana était devenue Eliana, c’est-à-dire » Dieu m’a entendu. Mais Eliana n’aimait pas son prénom. Elle se demandait toujours ce que le Roi avait bien pu entendre de sa part. Elle ne l’avait jamais rencontré hormis le jour où il l’avait nommé en posant sa main sur le ventre de sa maman. Et ça, ce n’est pas une vraie rencontre ! Elle ne lui avait donc jamais parlé ! Se peut-il que dès sa naissance, il ait vu et entendu sa faiblesse ? Dans tous les cas, il n’a pas vu sa souffrance, sa solitude et son isolement !
Personne n’entendait ce qu’elle entendait, mais elle entendait tout ce que tout le monde disait d’elle. Elle entendait et ressentait le monde entier. Et cela l’attristait encore plus ! Des larmes de cristal coulaient de son cœur, jaillissaient de son âme, et, en tombant, s’entrechoquaient, vibraient produisant un son cristallin et pur. C’était un gémissement et une complainte sans fin, qu’elle seule entendait et ressentait. Aucun villageois n’y était sensible… Et certainement pas le Roi, semble-t-il.
Pourquoi l’avoir alors affublé d’un tel prénom ! Ce n’est pas Dieu qui l’entendait, c’était elle qui entendait et ressentait tout et trop !
Un jour, fatiguée et à bout, lasse de supporter ces vagues de cristal et lasse d’attendre que le Roi l’appelle, elle prépara son sac à dos et partit en direction du château. Le chemin était long, éprouvant et éreintant. Le château se trouvait sur la plus haute montagne. Mais elle était déterminée. Enfin…désespérée à vrai dire ! Finalement, qu’avait-elle à perdre ? Il lui fallait des réponses ! Dans ce désespoir profond, il faut se rappeler qu’elle ressentait tout, comme si le monde parlait plus fort à son âme qu’aux autres. Alors, que dire de ses propres émotions ! Le cliquetis des larmes de cristal était incessant en elle, tellement présent qu’il en devenait dissonant et insupportable.
Elle marcha plusieurs jours pour le voir. Étrangement, elle ne ressentit aucune peur, même pas celle de rencontrer des loups, et d’ailleurs, elle n’en rencontra aucun. Elle les entendit une nuit ou deux, hurler à la lune, mais ne les vit pas. Comme si une main invisible les tenait éloignés. Elle n’eut même pas peur. Et, ces nuits-là, à la belle étoile, sous les arbres et malgré leur hurlement, elle dormit paisiblement, récupérant de sa longue marche de la journée.
Quand elle arriva au château, Le Roi était assis dans la cour, entouré d’animaux, d’arbres, de fleurs. Éliana resta à l’écart, intimidée par la scène qui se déroulait devant ses yeux. Là dans ce lieu, le nom secret, prenait tout son sens, remplissait tout l’espace, s’infiltrait dans chaque respiration. On ne voulait plus l’appeler le Roi, mais bien Dieu le Père créateur de Toute Chose. C’était comme si, le sens même de son existence lui échappait face à la gloire qui émanait de sa personne. Elle se sentait si petite, si insignifiante…
C’est alors qu’il leva les yeux et croisa son regard.
Il se leva puis marcha vers elle, et dit avec une tendresse infinie, « Bonjour Eliana, tu as fait un bien long et périlleux voyage. As-tu soif après cette longue et pénible marche? Viens que je te donne à boire. Viens te désaltérer, et ensuite nous parlerons. «
Mais elle ne voulait même pas boire, bien qu’assoiffée, car le poids de toutes ces émotions devint soudain beaucoup trop lourd à porter et elle tomba à genoux, en larmes quand elle l’entendit prononcer son nom. Son insignifiance fit place à un profond sentiment d’être aimée, d’avoir été voulue et choisie. Ce qu’elle n’avait jamais vraiment ressenti auparavant car tout le reste couvrait cette réalité. La douleur était telle, qu’aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Seuls des torrents de larmes de cristal inondaient maintenant la cour du château et restaient à terre comme des grêlons après une tempête. D’ailleurs, tout son être n’était que tempête. Les émotions, le ressenti, les sentiments, tout tourbillonnaient en même temps.
– » Tu portes beaucoup, petite fille au cœur pur. » dit le Roi. Les larmes d’Éliana redoublèrent et le son cristallin s’amplifia encore. Hoquetant, elle réussit enfin à dire quelques mots.
– » Mon cœur est un fleuve, Seigneur. Il déborde, et je ne sais plus nager. «
– » Seigneur, pourquoi m’as-tu faite ainsi ? »
– » Mon cœur est trop fragile, faible ».
-« Seigneur. Je suis fatiguée d’être traversée par toutes ces émotions. »
Alors, le Roi s’agenouilla, lui posa sa main sur la tête et lui dit, » Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Eliana, » Je te donne ma paix. » . « Reçois-la. »
Puis, il lui dit très doucement : « ton cœur est pur comme du cristal et il est dit dans mon livre, « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». C’est ainsi que je t’ai créée, c’est dans cette sensibilité que tu peux me voir, contempler ma création, pleurer avec elle, rire avec elle. Et te tourner vers moi quand tout cela déborde. Car n’oublie pas que mon pouvoir s’accomplit dans la faiblesse, dans la tienne. C’est ainsi que j’agis dans le cœur de chacun. N’oublie jamais que ton nom est » Dieu m’a entendu ». Je t’ai appelé ainsi car j’entends les tintements de ton cœur, je vois et j’entends tes larmes de cristal et leurs chants montent jusqu’à moi. C’est ainsi que mes regards se portent sur les souffrances que tu vois autour de toi et que je peux agir. Chaque jour, tu peux m’apporter ces larmes, et chaque jour je peux me refléter dans le cristal de ton âme. »
Le Roi toucha encore sa tête. Éliana sentit une paix nouvelle l’envahir, comme si son cœur, toujours si perméable, devenait un vase de lumière. Non pas fermé aux émotions, mais capable de les contenir, les comprendre, et de les lui offrir.
Éliana sentit une force douce naître en elle. Son cœur n’avait pas changé ; il était toujours aussi vaste ; mais il n’était plus seul.
Dès ce jour, elle retourna au village, non pas guérie de sa sensibilité, mais habitée par la paix de Celui qui la comprenait.
De retour chez elle, Éliana ne cessa pas de ressentir. Mais maintenant, quand quelqu’un pleurait, elle écoutait avec compassion. Quand quelqu’un riait, elle rayonnait avec lui sans se perdre. Quand le monde la blessait, elle allait prier le Roi, confiante, car elle savait : » Le Dieu de toute grâce, qui m’a appelée, me rendra inébranlable« , se répétait-elle souvent. Elle savait que Dieu l’entendait.
Elle était toujours hypersensible… mais elle était devenue une source de consolation pour d’autres.
-Quand un enfant pleurait, elle l’écoutait avec tendresse.
-Quand quelqu’un était en colère, elle priait dans le silence.
-Quand le monde devenait trop dur, elle se souvenait de ce regard qui l’avait accueillie. Elle lui parlait, car elle savait qu’il l’entendait. C’était son nom, celui qu’il lui avait donné, et lui savait pourquoi.
Et tous les villageois disaient maintenant depuis son retour : « Eliana est différente, mais sa présence apaise. » Ils leur semblaient même que certains jours, elle brillait et se colorait de teintes extraordinaires, comme si son âme révélait quelque chose qui leur échappait. Mais peut-être que tout cela n’était que le fruit de leur imagination…
Elle, en secret, murmurait : « Le Seigneur a fait de ma faiblesse une source de vie. «
Et maintenant, une joie indicible et indestructible remplissait son cœur, et couvrait, quand tout était trop intense, ce qu’elle ressentait. Une paix nouvelle était profondément ancrée en elle. Elle savait que Dieu l’entendait !
Et parfois, quand les larmes de cristal coulaient, le Roi rayonnait sur elles et elles brillaient de mille feux, alors des arcs-en-ciel en jaillissaient, imprimant le ciel et rappelant à tous l’Alliance que le Roi avait jadis contractée avec les villageois.
Nathalie AZRAK

Et pour écouter l’histoire :
Ce texte est une histoire pour illustrer, un préambule à une réflexion sur l’hypersensibilité. S’il vous a plu, interpelé, vous souhaitez approfondir, en parler, prier, être écoutée, être accompagnée, rompre l’isolement, mettre des mots sur vos maux du quotidien, alors n’hésitez pas à contacter l’adresse mail tite.ecoute@gmail.com, en mettant l’objet de votre prise de contact. Je vous recontacterai rapidement ! Prochainement, une réflexion sur l’hypersensibilité dans la rubrique psychologie.
